Rencontre avec Caroline Couret, fondatrice du Creative Tourism Network®

Avez-vous entendu parler du « tourisme créatif»? Une tendance selon laquelle les touristes se déplacent dans le monde entier afin de découvrir les aspects encore peu connus d’une destination ou d’une culture, en participant à des activités créatives avec les autochtones.

Ce concept est apparu au début des années 2000, fruit des travaux de recherche des professeurs Greg Richards et Crispin Raymond. Il se décline aujourd’hui sous différentes formes, réunies au sein du Creative Tourism Network®.

Nous avons rencontré Caroline Couret, sa fondatrice de ce réseau, afin d’en savoir plus sur ce tourisme de nouvelle génération.

▪ Comment est né le Creative Tourism Network® ?

On pourrait dire que le projet faisait partie de notre ADN et s’est développé naturellement grâce à l’apparition d’une nouvelle demande qui a mis en évidence notre envie de revenir à l’essence même du voyage, à savoir la rencontre avec des personnes issues de différentes cultures et souhaitant partager des moments simples, une passion commune et en toute authenticité! La rencontre avec le Professeur Greg Richards, co-inventeur du concept de tourisme créatif a été décisive et nous a permis de cerner avec une grande acuité, les exigences de ces nouveaux voyageurs. C’est ainsi que nous avons créé la plate-forme Barcelona Creative Tourism en 2005, la première du genre à échelle mondiale, afin d’inviter les touristes à « vivre la ville de façon créative».
Face à l’engouement croissant pour cette nouvelle façon de voyager – nous avons alors ressenti le besoin de travailler en réseau avec d’autres destinations partageant la même philosophie. C’est ainsi que le Creative Tourism Network® a vu le jour en décembre 2010, à Barcelone.

▪ Quelles sont les missions du Creative Tourism Network® ?

Nous souhaitons avant tout offrir un organisme de référence qui réponde aux demandes les plus diverses émanant de ce secteur en plein essor.
Il existe à travers le monde, pléthore d’initiatives conceptuellement très proches du tourisme créatif qu’il est encore difficile d’identifier tellement elles sont disséminées géographiquement et « terminologiquement »! Or, la demande pour ce type d’expériences ne cesse de croître. Le réseau offre ainsi un point de rencontre entre l’offre et la demande.
En outre, nous veillons à ce que ces échanges soient garant de qualité et contribuent par là-même à créer une chaîne de valeur. C’est en ce sens que nous proposons des formations spécifiques et travaillons à l’élaboration d’un cadre de référence des Bonnes Pratiques du Tourisme Créatif. De façon plus générale le réseau vise à créer des synergies entre les membres, ainsi qu’avec des collaborateurs externes.

– Quels moyens mettez-vous en œuvre pour y parvenir ?

Nous offrons à nos membres un service de communication, community-management, presse et promotion en plusieurs langues et personnalisée puisque nous connaissons leurs offres et les faisons ainsi connaître auprès d’un public ciblé. Cela passe tout d’abord par l’identification de ces touristes créatifs, que l’on peut trouver parmi différents segments tels que les seniors, les singles, le tourisme MICE, mais également, les foodies, les passionnés de peinture, de poterie, de photographie, de musique, de danse, les chorales, et ainsi une infinité de profils. Cette hyper-segmentation requiert une parfaite connaissance de chaque profil et des moyens adéquats pour les « séduire ». C’est vraiment passionnant! On en revient toujours à l’importance d’être créatifs en somme! Par ailleurs, le fait de connaître parfaitement ces « communautés » nous permet d’aider les destinations dans l’élaboration de leurs offres.

– Précisément, au sein de cette offre diverse, comment reconnaît-on une offre de tourisme créatif ?

Je pourrais vous citer une infinité d’exemples, mais au-delà du contenu, il est des critères qui sont presque des normes. Parmi eux, ne pas copier une offre existante. Le tourisme créatif en appelle avant tout à l’authenticité et à la créativité des personnes qui conçoivent l’offre. Et j’insiste sur le terme « personnes » car en effet, bien que leur commercialisation requière une expertise professionnelle, celle-ci ne doit pas se supplanter à l’émotion générée par la transmission de connaissances et la rencontre entre locaux et voyageurs. Cela passe par le fait d’avoir une grande empathie pour ces « touristes-alter ego» ! La relation top-down qui a forgé le secteur touristique au cours des dernières décennies, enfermant prestataires et touristes dans un cadre strictement commercial, a désormais fait place à un modèle bottom-up, beaucoup plus personnalisé et à géométrie variable, orienté par la demande spécifique de ces nouveaux voyageurs.

– Et pour citer quelques exemples qui vous tiennent à cœur ?

Tous et des plus divers ! Vous savez, la première fois que vous participez à ce genre d’activités, vous le faites par intérêt ou passion pour une discipline en particulier via un cours de cuisine, un stage de céramique, d’aquarelle, de musique, etc.. Mais c’est très vite le tourisme créatif perçu comme façon de voyager, indépendamment du type d’activité, qui s’impose à vous et ouvre une nouvelle carte du Monde ou dû moins une carte « revisitée »! Par exemple, des Barcelonais, pour qui Ibiza ne serait que synonyme de loisir estival, peuvent envisager un séjour en février dès lors qu’il leur est proposé une activité différente, dans un cadre agréable, comme par pourrait-être un stage de photographie lors de la floraison des amandiers. Ils découvriront une toute autre Ibiza! D’où la pertinence de créer un réseau afin de faire découvrir ou redécouvrir des destinations par le biais de ces expériences. À l’heure de faire des choix, j’essaie personnellement de m’approcher de ce que l’on pourrait qualifier de «km0», en participant à des activités typiques du lieu de séjour. Le fait de participer à un cours de sushis ailleurs qu’au Japon peut faire partie de notre quotidien mais pas de vacances destinées à s’immiscer dans la culture locale! En revanche, que diriez-vous d’une retraite créative en Provence, en Toscane ou en Algarve, au cours de laquelle vous pourriez vous adonner à la céramique, la sculpture, la réalisation de pièces d’artisanat ou la fabrication de pain et spécialités locales? De même, découvrir la culture « Gaucha » en participant à des ateliers de danse, de musique, de création de vêtements à Porto Alegre, au Brésil, ou des stages de DJ à Ibiza? La liste est longue et s’alimente de l’intérêt croissant des touristes pour ces expériences simples mais authentiques.

– Peut-ont ainsi considérer la simplicité et l’authenticité comme des dénominateurs communs du tourisme créatif ?

Oui et j’ajouterais bien sûr, la créativité. Ce sont effectivement les dénominateurs communs des destinations membres de notre réseau qui sont pourtant par ailleurs, de nature et d’échelles très diverses. Mais les touristes créatifs apprécient au contraire cette diversité parmi les offres qui leurs sont proposées. Ils sont exclusifs en ce qui concerne la façon de voyager mais les suggestions du réseau leur permettent précisément d’alterner entre une destination urbaine, balnéaire, rurale, etc. Et pour les membres, il tout aussi facile et enrichissant d’échanger conseils, et bonnes pratiques avec des destinations de tous types.

– Quel est le rôle de la technologie dans le tourisme créatif ?

La connotation positive liée à la créativité rend presque inévitable le fait d’associer le tourisme créatif à l’innovation, notamment technologique. Or, si les nouvelles technologies peuvent à un certain moment, favoriser la communication au sein du secteur du tourisme créatif ou dans la perception de certaines expériences, elles ne doivent en aucun cas supplanter “l’humain”!

– Le tourisme créatif est-il un exemple de tourisme durable ?

En tout point, oui ! On pourrait d’ailleurs associer au tourisme créatif, la définition que l’OMT attribue au tourisme durable, à savoir, « la gestion de toutes les ressources de telle sorte que les besoins économiques, sociaux et esthétiques puissent être satisfaits tout en maintenant l’intégrité culturelle, les processus écologiques essentiels, la diversité biologique, et les systèmes vivants. »
Le touriste créatif est un voyageur respectueux de l’environnement, mais aussi des populations qui l’accueillent et qu’il admire. Sa reconnaissance envers ces personnes est décuplée, donnant lieu à un cercle vertueux qui s’alimente de la transmission de valeurs humaines, de savoir-faire, de talent, dont bénéficient à leur tour les populations locales et les territoires.

– Qu’est-ce qui vous fait penser que le tourisme créatif n’est pas une simple mode ?

Outre l’apparition d’une nouvelle demande qui s’est très convertie en une nouvelle façon de voyager, cette évolution, notoire au niveau de l’industrie touristique, reflète un changement plus profond de la société au cours de la dernière décennie, au cours de laquelle les consommateurs sont devenus plus responsables et plus actifs. Ce sont désormais des « prosumers», à la fois producteurs et co-créateurs de leurs propres expériences.
Un tel changement de paradigme impose une nouvelle façon – plus créative – de “gérer le tourisme”. La zone de confort que nous offrait le “puisqu’on l’a toujours fait ainsi”, ne fonctionne plus!
L’attractivité d’une destination ne dépend désormais plus essentiellement de son patrimoine matériel, mais se différencie par son storytelling, par ces détails qui témoignent de son authenticité et de son humanisme. Le touriste actuel aura plaisir à évoquer cette grand-mère qui lui a enseigné la vannerie, ou le boulanger qui, à ses heures libres, lui a appris à faire son pain. De toute évidence, le modèle de gestion devra s’adapter à cette nouvelle réalité. Et ici, plus que jamais, intervient le facteur humain!

Comme toute situation disruptive, elle engendre de nouveaux défis, mais également de nouvelles opportunités. Le défi de collaborer avec des acteurs locaux qui n’appartiennent pas au secteur du tourisme, comme peuvent être les artistes, artisans, associations, etc. Mais elle offre également de nouvelles opportunités, notamment celle de créer une chaîne de valeur pour la destination et pour le territoire, en termes de qualité de vie des résidents, formation, dynamisation de l’économie locale.
Pour cette raison, il est très important de ne pas réduire la gestion du tourisme créatif à la création de simples plateformes digitales, exclusivement dédiées à la vente d’activités en ligne. Il faut saisir cette belle opportunité pour créer du sens et de la valeur!

– Justement, que pensez-vous des plateformes digitales qui regroupent des offres d’ateliers créatifs ?

Elles sont effectivement de plus en plus nombreuses et souvent issues d’une bonne intention, mais peuvent également nuire dans le sens où elles représentent une porte ouverte au “tout créatif”, c’est-à-dire que l’on assiste à une certaine intrusion de la part d’entreprises qui souhaitent rebondir sur l’engouement que suscite cette nouvelle forme de voyager, en vendant comme “expériences” des succédanés qui ne représentent pas toujours la culture locale ou le font sans offrir de garanties professionnelles. Le peer-to-peer peut satisfaire le voyageur individuel en quête de rencontres, mais dès lors qu’il s’agit de travailler pour des tour opérateurs, expertise et sécurité sont nécessaires. Finalement – et surtout – elles ne contribuent pas vraiment à créer une chaîne de valeurs sur un territoire. Le tourisme créatif doit être perçu comme un instrument de gouvernance, d’émancipation, de professionnalisation, de cohésion sociale, de préservation du patrimoine intangible … et c’est en cela qu’il est important que de tels programmes aillent au-delà des intérêts privés et fassent l’objet collaborations entre gouvernements locaux et un ensemble éclectique de parties prenantes au niveau local.

– Vous êtes française, comment percevez-vous le tourisme créatif en France ?

La diversité culturelle de la France et ses traditions sont un atout considérable pour le tourisme créatif, et réciproquement. Ce tourisme permet de préserver et mettre en valeur ce patrimoine intangible et de renforcer l’identité de chaque région. Il De nouvelles localités, villes et régions françaises nous rejoindront prochainement. C’est un vrai bonheur de faire connaître une autre France, ses artistes, artisans et ses habitants, à ces voyageurs en quête d’authenticité et d’art de vivre !

– Quels sont les projets en cours et à venir du Creative Tourism Network® ?

Il serait long de vouloir tous les citer. Nous développons des partenariats avec des secteurs stratégiques tels que les medias, les transports, les tours opérateurs, etc, dont bénéficient nos membres Nous avons également créé un pôle formation, afin de répondre aux besoins des administrations publiques, entreprises et universités, qui connaît un franc succès au niveau international. Sans oublier l’incorporation de nouvelles destinations.

Septembre 2017

www.creativetourismnetwork.org
https://www.linkedin.com/in/carolinecouret/
https://expertesfrancophones.org/expertes/67548-caroline-couret

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